Pourquoi les robes des années 1920 étaient différentes de celles des soirées Gatsby d’aujourd’hui

Avec le film The Great Gatsby il y a quelques années, la série récente Peaky Blinders et un retour aux inspirations de la musique et de l’esthétique vintage, les soirées immersives sur ces thèmes sont nombreuses. Les soirées clandestines pendant la prohibition aux États-Unis, les danseuses de Music Hall de Paris, le swing qui fait danser les couples entre deux verres de whisky : dans l’imaginaire collectif, les années folles font rêver. On les imagine festives, on admire cette révolution vestimentaire qui rehausse les jupes des femmes et les libère enfin de leur corset. Je suis fascinée par la manière dont la mode accompagne les révolutions : la mode des années 1920 casse tous les codes et va vraiment rechercher quelque chose de nouveau. Mais casse-t-elle réellement tous les codes ? Les femmes ont-elles abandonné le corset à ce moment-là ? Comment est-ce que nous réinterprétons la mode d’il y a un siècle ?

Le corset au début du vingtième siècle

Commençons par parler des dessous car, aujourd’hui encore, ils définissent en partie la silhouette des femmes. Vers la toute fin du 19ème siècle, le corset se porte de plus en plus bas. Au lieu d’englober les seins, il arrive à mi-hauteur et les supporte depuis le bas. Cette évolution a pour but de laisser plus de liberté au niveau de la poitrine et plus d’espace à la cage thoracique, comme on peut le voir dans les exemples ci-dessous, tirés de The Underpinnings Museum.

Le corset descend, donc, jusqu’à finalement, dès les alentours de 1910, se terminer en dessous des seins et recouvrir une partie des fesses. C’est la fameuse période Titanic. Au début du 20ème siècle, il est aussi devenu coutume d’y fixer des élastiques qui permettent d’accrocher les bas.

J’ai choisi ces trois exemples, représentatifs de chacune des décennies, dans la collection de The Underpinnings Museum. Ce site est une excellente ressource et je vous invite à cliquer sur les liens sous les photos des corsets si vous avez envie de voir plus de photos et d’informations à leur sujet.

Et la poitrine dans tout ça ? Une des fonctions principales du corset était de la soutenir (pour plus de détails). Ainsi, quand le corset ne recouvre plus les seins, on se met à porter des sortes de brassières, les ancêtres de nos soutien-gorges. Différentes techniques commencent à se développer pour remplacer le rôle du corset pour soutenir le buste. J’y reviendrai plus bas.

De la Belle Époque au Cubisme

L’autre fonction essentielle d’un corset est d’apporter une base à la tenue, comme vu dans l’un de mes articles précédents. Après la première guerre, la société a changé, les femmes sont de plus en plus actives dans le monde du travail, et les tenues s’adaptent aux modes de vie. Que ce soit au travail ou pour pouvoir danser, les femmes ont besoin de plus de liberté de mouvement. Alors, on raccourcit les robes et les cheveux. Après des siècles de cheveux longs, le carré à la garçonne devient à la mode chez les femmes : cette coupe fait d’ailleurs scandale et est très controversée (j’avais écrit un article sur cette controverse en 2019).

On simplifie les formes, aussi : les courants artistiques ne sont plus aux froufrous et aux rondeurs, mais au cubisme, à l’Art Deco. Les vêtements en font de même et les coupes deviennent épurées, carrées. La silhouette féminine en vogue est longue et filiforme. Or, vous le savez tout aussi bien que moi, toutes les femmes n’ont pas la même morphologie. Que fait-on, dans ce cas ? Eh bien on trouve des astuces pour conformer le corps aux standards de la mode quand même.

Dans les années 1920, on porte des dessous qui vont rendre la silhouette longiligne. Pour le haut, on utilise des brassières en bandeau sur la poitrine, afin de l’aplatir. On peut en voir un exemple typique sur le site du Met Museum. Et au niveau des hanches, le corset, comme le reste, devient très droit. On a soit une version en ceinture, que les anglo-saxons appellent «girdle», et qui se rapproche d’un porte-jarretelles actuel. Il se porte sur les hanches afin d’en aplatir la courbe et de se rapprocher de cette nouvelle silhouette idéale toute en longueur. Ou alors, on fait d’une pierre deux coups en portant un long corset, appelé parfois «corselet», très droit, recouvrant la poitrine et descendant jusqu’au bas des hanches. Généralement, ces sous-vêtements portent des attaches pour les bas.

L’image des femmes abandonnant le corset au début du vingtième siècle n’est donc pas tout à fait juste. En revanche, il est vrai que les tenues s’allègent. On porte des robes fluides et amples, on abandonne crinolines, paniers et autres rembourrages encombrants. Ce qui est déjà une révolution après l’accoutrement de la Belle Époque et d’avant. Et puis bien que toujours dans la norme de l’époque, le corset aussi, devient plus souple. On utilise moins de baleines et, dès les années 1930, des bandes de tissus élastiques feront leur apparition afin de donner de la souplesse aux corsets, jusqu’à arriver à la célèbre gaine entièrement élastique typique du milieu du 20ème siècle, rendue possible grâce aux progrès dans les matériaux élastiques, puis à la découverte de l’élasthanne dans les années 1950.

Photo anachronique de moi-même en 2019, portant un authentique corset des années 1930, prise par Conteur d’Histoires

Ces franges devenues célèbres dans le cinéma des années 50

Parmi les autres images des années 1920 véhiculées dans la culture populaire, on trouve les célèbres robes à franges. Vous savez, ces robes qu’on se commandera vite fait bien fait pour une vingtaine de francs sur un site dont le nom commence par A, pour aller à une soirée Gatsby ? À force de parcourir des photos et magazines de mode de l’époque, j’ai pu constater qu’il est rare de voir une femme de cette époque porter une robe avec de telles franges.

Le Petit Echo de la Mode, édition de septembre 1927, représentant les dernières tendances automne-hiver du moment. Photo par moi-même

On trouve quelques modèles de robes emblématiques avec des franges, mais plutôt dans les musées. Et généralement, ces robes sont des créations des grandes couturières, telles que Gabrielle « Coco » Chanel ou Madeleine Vionnet. Pas vraiment la robe de Madame Tout-le-monde pour aller danser et boire de l’alcool de contrebande. Les robes des années folles étaient le plus souvent ornées de perles et de broderies. Des plis et des fronces subtilement placées permettaient d’ajouter les détails qui font l’élégance des robes des flappers. Mais alors d’où vient cette robe aux franges qui virevoltent sur la piste de danse ?

Une robe Haute Couture de la créatrice Gabrielle « Coco » Chanel, 1926. Source : Cooper Hewitt Collection

Si l’on considère les techniques et matériaux de l’époque, réaliser une robe recouverte de bandes de franges comme aujourd’hui était très fastidieux il y a un siècle. On n’avait pas encore de fibres synthétiques. Une robe avec des franges était lourde. Pas spécialement vendeur, quand la tendance veut alléger les tenues. Et puis, il fallait coudre toutes les franges à la main. Pour cette raison, cette technique coûteuse restait l’apanage de la Haute Couture.

Plus tard, alors que les années 1950 connaissent (déjà!) un revival de la mode des années folles, on voit arriver à Hollywood des films et des comédies musicales dont l’histoire se situe une trentaine d’années plus tôt, comme par exemple le célèbre Singin’ in the rain. C’était le «vintage» de l’époque. On a alors des fibres synthétiques, et produire un galon de franges est devenu facile et bon marché grâce aux nouvelles techniques industrielles. Il est devenu plus avantageux d’entourer une robe d’une longue bande à franges synthétiques, plutôt que d’effectuer un travail de broderie et d’appliqués à la main comme on le faisait en 1920. En ce qui concerne la coupe, c’est aussi le cinéma des années 50 qui a affiné la taille de la silhouette des années 20. Car à ce moment-là, c’est l’arrivée du New Look de Christian Dior, la taille de guêpe revient à la mode. Alors, pour s’aligner avec ces «nouveaux» standards, on s’inspire de vêtements anciens, tout en les adaptant pour l’œil actuel.

L’interprétation des robes 1920 dans le film Singin’ in the rain en 1952. Source : IMDB

Comment nous changeons la mode du passé

Cette façon de faire est d’ailleurs toujours d’actualité. Aujourd’hui, la plupart des robes «années folles» en vente dans le commerce, ou même créées pour des films de reconstitution, auront une taille «joliment» cintrée et une poitrine bien visible. C’est le cas du film The Great Gatsby, par exemple. Je dis joliment, mais c’est le joli de notre époque, bien sûr.

Une illustration de patrons de robes des années 1920. Source : Art Deco Tumblr.

En observant des photos de robes originales de 1920 ou des dessins dans des magazines de mode, on voit que la taille n’était pas marquée, que la ligne de taille descend jusqu’aux hanches et que les seins sont aplatis. Êtes-vous toujours convaincu.e.s d’une beauté absolue et objective ? Dans la plupart des films de reconstitution, on prend la mode de l’époque, mais on l’adapte afin qu’elle soit compatible avec l’idéal actuel. Il en est de même pour les coiffures et le maquillage. De nos jours, on voit des femmes en tenue de flapper, mais avec des sourcils maquillés à la Kim Kardashian (ça y est, je me remets à parler de Kardashian…!) et une robe à franges des «années 20 des années 50» ! C’est donc un sacré mélange d’héritages de différentes époques.

Je tiens à préciser que je ne dis pas cela sous forme d’un reproche ou jugement envers les personnes qui adoptent ces mélanges. Chacun·e est libre de combiner tout cela à sa guise. Je dis cela car je trouve intéressant d’observer ces mélanges, et que je suis moi-même passionnée par l’histoire du vêtement. Tout le monde n’est pas obligé·e de faire des heures de recherches et de devenir expert·e de la mode du début du 20ème siècle avant de se rendre à une soirée sur le thème des années 20 ! En revanche, je commence à grincer des dents lorsque les époques s’entremêlent pour satisfaire un critère de beauté actuel dans une situation avec une réelle prétention de reconstitution historique… Pour le reste, soyons et restons libres de nous vêtir comme il nous plaît !

Une publicité pour un corset datant de 1929. Source : witness2fashion

Aujourd’hui, un siècle plus tard, nous voyons les années folles comme une période d’émancipation des femmes – et elle l’était ! mais pas tout à la fois. Cela nous paraît contre-intuitif, aujourd’hui, d’imaginer un corset sous une robe Gatsby. Pourtant, cela était encore indécent pour une femme de ne pas en porter en 1920. Cela n’empêche pas que certaines femmes ont peut-être arrêté d’en porter, tout comme je constate que de nos jours, on porte de moins en moins de soutien-gorges. Les robes des années folles sont un exemple, parmi tant d’autres, à la fois du caractère cyclique de la mode et de l’évolution des critères de beauté.

Le mois prochain, je vous parlerai de mes propres interprétations de robes des années folles, réalisées d’après une méthode de patronage de 1923. Et d’ici là, je vous invite à partager vos réactions et vos propres réflexions sur le sujet dans les commentaires.

Ressources

Voici quelques références pour aller plus loin dans certains aspects effleurés dans cet article :

[1] Flappers didn’t really wear finged dresses, Racked, par Zoë Beery
[2] Underpinning the 1920s: Brassieres, Bandeaux, and Bust Flatteners, witness2fashion
[3] Des photos de robes des années 1920 dans la galerie du MET Museum
[4] Des photos de corsets et de lingerie d’époque dans la galerie de The Underpinnings Museum (en sélectionnant l’année dans « Eras »)

En couverture : Une photo du magazine Le Petit Echo de la Mode, édition de septembre 1927, prise par moi-même.

8 Replies to “Pourquoi les robes des années 1920 étaient différentes de celles des soirées Gatsby d’aujourd’hui”

  1. Bravo pour cet article, un plaisir de vous lire… Un plaisir d’approfondir et d’en apprendre plus sur la question, et sur les dessous des Flappers.. Merci !

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