Loïe Fuller, seconde partie: le génie des couleurs

Dans la première partie, je vous racontais l’histoire de Loïe Fuller et de la création de sa danse Serpentine. Mais la danseuse ne s’est pas contentée d’inventer une danse, elle a aussi développé de nouvelles techniques d’éclairage pour ses prestations. Fascinée par les couleurs, celle que l’on a surnommée la Fée Électricité a réalisé des dispositifs qui ont complètement révolutionné les arts de la scène de la fin du 19ème siècle.

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Image tirée de la revue Scientific American du 20 juin 1896, illustrant les installations scéniques pour la danse de Loïe Fuller.

Loïe utilise des miroirs, pour démultiplier les images, et danse sur une plaque de verre à travers laquelle est projetée de la lumière. Elle fait appel à des projectionnistes, chacun tenant un projecteur mobile permettant de diriger les faisceaux colorés sur ses voiles. De plus, elle fait même parfois projeter des images à l’aide de diapositives qu’elle dessine. Pour rendre ses costumes de scène irradiants, elle élabore des sels phosphorescents qu’elle applique sur les tissus. Amie de Pierre et Marie Curie, elle leur aurait même demandé de l’aide pour confectionner une robe phosphorescente au radium ! Requête qu’ils ont bien évidemment refusée. Elle crée toutefois une danse qu’elle appelle la Danse du Radium.

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Dans son autobiographie, qui m’a inspiré ces deux articles, Loïe raconte son tout premier « essai pratique », qui survient un peu par hasard lors de sa première visite de l’église de Notre-Dame de Paris. Son entrée dans la cathédrale l’émeut beaucoup, elle est particulièrement séduite par les vitraux des rosaces latérales, vous comprendrez pourquoi. Elle est fascinée par « les rayons de soleil qui [vibrent] »*, se teintant de différents coloris en passant à travers le verre. Elle sort alors son mouchoir et l’agite à travers les rayons de lumière, à la manière de l’étoffe qu’elle revêt pour danser. Ce faisant, elle ne remarque pas le curé qui s’approche d’elle. Elle ne parle pas encore français à ce moment-là et ne comprend pas un mot de ce qu’il lui dit tout en l’empoignant pour l’emmener hors de la cathédrale. Dehors, un homme s’approche, s’inquiétant de ce qu’il se passe. Il traduit les mots du prêtre pour l’Américaine : « Dites à cette femme de s’en aller, elle est folle. » ! « Telle fut ma première visite à Notre-Dame et la fâcheuse aventure que m’y valut mon amour de la couleur et de la lumière », conclut-elle.

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Loïe parle beaucoup de sa fascination pour les couleurs et de leur importance. Elle estime que la lumière n’est pas suffisamment exploitée dans le monde des arts. Les sons ont été travaillés depuis des siècles : à partie de l’harmonie naturelle, l’homme créa la musique. Mais la lumière ? Elle n’est utilisée que dans son état naturel, brut. Alors que, d’après la muse de l’Art Nouveau, il y a mille façon de décomposer la lumière. Elle reproche à tous les musées qu’elle a visités le manque de travail architectural sur la lumière. « L’éclairage, les reflets, les rayons de lumière tombant sur les objets sont des questions si essentielles que je ne peux pas comprendre comment on leur accorde aussi peu d’importance », écrit-elle.

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Loïe Fuller par Henri de Toulouse-Lautrec.

Rencontrés à des représentations ou lors de ses investigations artistiques ou scientifiques, Loïe côtoie beaucoup d’autres artistes, qu’ils soient peintres ou sculpteurs, mais aussi des scientifiques. Elle est notamment l’amie du célèbre astronome Camille Flammarion et de sa femme Sylvie, qui seconde son mari dans ses travaux. Un jour, Loïe est particulièrement intéressée par la dernière découverte de Camille. Ce dernier lui explique qu’il étudie l’influence des couleurs sur les organismes. Il fait pousser des géraniums dans des petites cloches en verre teintées de différentes couleurs, ainsi qu’un verre transparent, sans omettre de laisser pousser une des plantes à l’air libre. Regardant les plantes, Loïe constate que chaque plante est différente, et que la seule plante vraiment jolie est celle qui a poussé en plein air. Flammarion demande aussi à des amis de passer quelques heures assis à la lumière de différentes couleurs. Il observe ainsi les influences des différentes couleurs sur l’être humain, et en conclut que « le jaune provoque l’énervement et le mauve le sommeil ».

Une autre anecdote est la visite de la galerie d’un collectionneur d’œuvres d’art. Ce dernier montre à Loïe une collection de mille huit cents papillons, qu’il a achetée uniquement pour quatre d’entre eux. Il confie à la danseuse que la raison est que ces quatre papillons lui ressemblent. « Ces couleurs, c’est vous », lui dit-il. « Regardez quelle richesse. Ce rose, ce bleu, c’est vous ; c’est vous vraiment ! »

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De nos jours, l’artiste française Mara De Nudée rend hommage à Loïe Fuller en faisant revivre sa danse Serpentine sur les scènes actuelles. Elle s’en inspire dans son numéro Le Coucher de Mara, qui est un hommage au Coucher d’Yvette, le premier numéro d’effeuillage, issu de l’histoire que je vous contais dans un de mes articles précédents. Dans un nouveau numéro, Mara revisite les effets de lumières sur son costume de soie digne de Fuller, tout en bénéficiant de techniques de projections plus modernes. De l’autre côté de l’Atlantique, la danseuse et chorégraphe new-yorkaise Jody Sperling a beaucoup étudié les danses Serpentines et les reproduit aujourd’hui de manière très fidèle à Loïe Fuller.

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Mara De Nudée revisite la danse Serpentine. Photo: Didier Bonin

Me voilà donc au bout de ces deux articles retraçant quelques anecdotes sur l’artiste de génie qu’a été Loïe Fuller. Il y aurait encore tant à dire sur cette danseuse, metteuse en scène, impresaria, savante, technicienne, inventrice – pourtant presque complètement oubliée de nos jours ! Je conclus l’article avec ces paroles d’Édouard Marchand, le directeur des Folies Bergère qui engagea Mary Louise Fuller à ses débuts :

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LW

*Toutes les citations de cet article sont tirées du livre « Ma vie et la danse », écrit par Loïe Fuller en 1908 et publiés aux éditions l’œil d’or en 2002.

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