Ce que j’aime dans la mode et son histoire, ce sont les liens que l’on peut faire entre les changements dans la société et l’évolution des vêtements. Je suis fascinée par la manière dont la mode est bouleversée lors des révolutions sociétales, et comment l’habillement suit les mœurs. Et puis en particulier, il est passionnant d’observer l’évolution du vêtement mise en contexte dans l’histoire des luttes féministes et des mouvements queers – même si à l’époque le terme n’existait pas encore. Cette fois, j’ai envie de vous parler des années 1960. Cet article ne sera pas une description exhaustive de la mode des sixties (même s’il y a tant à dire et que j’adore cette période !) mais je souhaite évoquer quelques liens entre cette décennie et les années folles. À la fin de l’article, je vous présenterai ma propre version de robe années 60.

Les sixties, petite sœur des twenties
Plutôt loin des années folles qui me préoccupent habituellement, me direz-vous. Et pourtant, même si quarante années et une guerre les séparent, il y a tant de liens à faire entre les cultures et les modes de ces deux époques. Que ce soit le charleston des flappers ou le twist des yéyé, la recette des danses des années 20 ou 60 est indéniablement la même : prenez un gros grain de folie, mélangez-le à une envie d’émancipation des schémas traditionnels, jetez le tout sur une jeunesse débridée et amusez-vous jusqu’au bout de la nuit en oubliant la guerre. La même recette fonctionne parfaitement pour la mode, qui casse elle aussi tous les codes des décennies précédentes pour devenir non seulement plus délurée, mais aussi plus confortable.


Il y a comme une petite ressemblance entre les deux robes ci-dessus, n’est-ce pas ? Nous allons nous y pencher un peu plus en détails.
La révolution se fait dans des vêtements confortables
Un point commun flagrant dans la mode de ces deux décennies est la simplicité des coupes et le confort des robes. Après la première guerre mondiale, même si ce n’est pas encore la fin du corset (contrairement à certaines idées reçues, j’en parle de manière détaillée dans un autre article) les robes deviennent légères et tombent sans contrainte sur le corps. On ne marque plus la taille ni la poitrine : rien que des tissus fluides au tombé confortable. On assiste au même phénomène après la taille marquée des années 1950 et les tenues savamment construites (le célèbre New Look de Christian Dior) : dans le courant des années 1960, on revient vers des robes plus amples et aux lignes simples.


Alors que la robe remonte jusqu’au haut du mollet dans les années folles, il faudra attendre la fameuse « mini-jupe » des sixties pour qu’elle remonte jusqu’à dépasser le genou.
On notera aussi la mode de looks androgynes chez les femmes. Même si les femmes portent encore très peu de pantalons dans les années 20, la coupe à la garçonne est déjà une petite révolution dans le genre et ces femmes qui portent des cheveux courts déclenchent alors beaucoup de polémiques (voir mon article détaillé sur le sujet). Dans les années 60, le costard féminin rencontre un certain succès. On retrouve ce petit air de la garçonne des années folles, comme on peut le voir par exemple sur les photos ci-dessous de Twiggy, modèle britannique emblématique de la mod fashion dans les années 1960.



Des lignes droites pour sortir du droit chemin
Un autre trait commun qui démarque la mode de ces deux époques, ce sont les coupes très droites. On abandonne rondeurs et courbes pour une silhouette longiligne et plate dans les années 20, ou pour le fameux trapèze des années 60.


Mais ces coupes simples et épurées ne riment pas avec banalité. Au contraire : les créateurs et créatrices se lâchent sur les motifs et les couleurs. Les robes de soirée des années folles, bien qu’ayant une coupe de base plutôt simple, regorgent de motifs brodés, de perles, de plis et de fronces sophistiqués. Les variations sont sans limites.

Dans les années 60, on a moins ces détails de plis, perles et broderies. En revanche, on retrouve cette lubie de la géométrie. Le concept est même poussé à l’extrême avec des motifs qui deviennent complètement délurés – les créateur·ice·s se lâchent. Le vêtement sort complètement du cadre de sa fonction et est utilisé comme une sorte de support artistique en soi.



Bien évidemment, la robe trapèze et la coupe courte de Twiggy ne résument pas à elles seules la mode de cette décennie. Cette période est plutôt intense socialement et culturellement, et la mode, comme je l’écrivais plus haut, est toute aussi riche et permet beaucoup de folies. Les deux exemples ci-dessous sont des créations du couturier Pierre Cardin.


Mon coup de cœur pour Mary Quant
Début 2020, j’ai découvert la créatrice de mode britannique Mary Quant au V&A Museum à Londres. J’avoue que j’ai eu beaucoup de palpitations en visitant l’exposition qui lui était consacrée et j’ai dû avoir un filet de bave devant plusieurs de ses créations. Cela m’a donc donné très envie de réaliser une robe dans ce style. (Oui, bon. Un problème que j’ai de manière récurrente en ressortant de ce genre d’établissement.)

Mes propres expérimentations
Alors que j’avais réalisé ma version de robe classique des années 20 l’été passé (par ici pour voir la vidéo) cet hiver j’ai eu envie de faire une robe trapèze, la coupe iconique des années 60. Voici le résumé (le plus court du monde) en images des étapes de la fabrication.



Il a bien sûr fallu photographier le résultat. Pour cela, je suis sortie complètement de ma zone de confort de modèle, plutôt habituée à la première moitié du 20ème siècle. La coupe de cheveux, le maquillage, les poses : un autre monde ! C’était un défi également pour le photographe Conteur d’Histoires, qui a accepté de se prendre au jeu et de me photographier en imitant le style des photographies de mode de l’époque.
Et aujourd’hui ?
Je ne pouvais pas terminer cet article sans évoquer le présent. J’adore regarder ce que les gens portent dans la rue, dans les transports publics. (Parfois de manière gênante. Pardon, pardon, ma curiosité et mon intérêt pour les vêtements sont plus forts que moi !) J’observe depuis un ou deux ans plusieurs aspects communs aux années 1920 et 1960 évoqués dans cet article : un retour à des vêtements amples et confortables, le look androgyne / queer, beaucoup de femmes qui portent des coupes de cheveux courts, voire même très courts. Une fois de plus, des vêtements qui scandalisent les réac’ et offusquent les boomers. (Mais dites donc, très cher·e·s boomers, avez-vous déjà oublié le temps où vous-même vous chantiez avec Sheila T’es plus dans l’coup papa ?)
Alors, sommes-nous en temps de révolution ?


Les deux photos ci-dessus, ainsi que la photo de couverture, ont été réalisées par Conteur d’Histoires.

Merci Lulu pour cet article, et par la même occasion cette nouvelle collaboration (qui effectivement, a demandé de sortir de cette fameuse zone de confort) !
C’est toujours un plaisir de te lire. Cela déclenche des intérêts et curiosités que je n’aurais pas soupçonnées il y a quelques années.
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Merci beaucoup pour ton commentaire, cher Conteur d’Histoires ! Ainsi que pour ces photos, très différentes de nos styles habituels respectifs 😉
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Moi je veux les mêmes souliers cirés que toi (que j’avais quand j’étais petits dans les années 60!). Et sinon encore un article très intéressant plein de découvertes!
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Merci ! Et tu sais que j’ai failli me débarrasser de ces petites chaussures ? Elles étaient dans mon sac des trucs « à vendre au prochain vide-dressing »…
Elles doivent dater d’il y a 6-7 ans (eh oui !) Et quand je me suis cassé la tête pour trouver des chaussures qui aillent avec la tenue années 60, je suis tombée dessus et me suis dit qu’elles étaient parfaites. Finalement je vais les garder 🙂 (ou sinon je te ferai signe !)
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