Avertissement : les photos de cet article, tout comme le sarcasme utilisé, pourraient heurter la sensibilité de certaines personnes.
Cher·e spectateur ou spectatrice qui a questionné ma pilosité lors d’un de mes derniers passages sur scène, j’aimerais bien qu’on parle.

Lors d’un spectacle auquel je participais, tu as demandé lors de l’entracte, m’a-t-on rapporté, pourquoi et comment une artiste pouvait choisir de laisser pousser les poils de ses aisselles tout en ayant les jambes épilées. Apparemment, il était question de ma personne, alors je souhaite t’apporter ma réponse.

Sache que, cher·e spectateur·ice, il se trouve que mes poils de jambes ne ressemblent pas à mes poils d’aisselles. Je n’ai pas plus épilé mes jambes que mes dessous de bras. Eh oui ! la nature m’a faite ainsi : des aisselles aux poils très foncés, des jambes aux poils plus clairs, et des cheveux à mi-chemin, d’un brun moyen. À force d’enlever chaque poil de sa peau avant même qu’il ne dépasse, on en aurait presque oublié à quoi ils ressemblent dans leur état naturel. On en aurait presque oublié que, finalement, les poils sont comme les cheveux : différents chez chaque personne, en texture, en couleur, en longueur, en épaisseur. Comme c’est le cas chez les personnes de sexe masculin, en somme (dingue ! un point commun ! …)

Mais là n’est pas l’essentiel de ma réponse. Car quand bien même j’aurais décidé de m’épiler uniquement les jambes mais pas les aisselles, dans ce cas, permets-moi de retourner la question : pourquoi certaines personnes décideraient-elles de couper les poils de leurs jambes, de leurs aisselles, et non ceux qui leur recouvrent la tête ? Tout ceci me paraît, au fond, bien arbitraire. Lors de ce spectacle, nous étions huit artistes à monter sur scène. Certain·e·s avaient décidé de s’épiler, d’autres juste de couper quelques poils. D’autres encore n’ont pas touché à leurs poils, d’autres ont enlevé les poils de certaines zones seulement. Certain·e·s portaient des cheveux longs, d’autres des cheveux courts. Ou même, des cheveux courts lors d’un numéro, puis une perruque avec des cheveux longs lors d’un autre passage sur scène. J’espère qu’un jour, poser la question du choix de l’épilation semblera tout aussi futile que celle du choix de porter des cheveux courts ou longs. Une simple question de préférence et de choix personnel. Et libre à chacun et chacune de préférer plutôt l’une ou l’autre alternative.

Maintenant, cher·e spectateur·ice, je vais te livrer un secret. On me dit parfois que je suis courageuse d’oser montrer mes poils sur scène. En vrai (mais pshhht, c’est un secret), le courage, c’est de dépenser tout ce temps et cet argent dans l’épilation. La charge, c’est de s’imposer, avant chaque événement de sa vie, du temps pour faire la chasse à chaque poil qui pourrait être vu. Laisser ses poils vivre leur vie et ne plus devoir y prêter attention ne demande aucun effort. Aucune charge mentale. Mais que ce secret reste entre nous, sans quoi, c’est toute une industrie des cosmétiques de l’épilation qui s’effondrerait. (Une catastrophe pour notre PIB ! comme on dit.)
Avant un spectacle, je danse, je répète ma chorégraphie. Je prends le temps de penser aux personnages que je vais incarner sur scène. Je savoure l’excitation de me réapproprier ces facettes de moi bientôt. Je me réjouis d’avance de retrouver cette liberté que j’ai sur scène. Cette liberté de pouvoir être qui je veux et qui je suis.

Parfois, je coupe mes poils. Des fois, j’en ai envie. Tout comme je vais chez la coiffeuse de temps en temps. Mais ne plus voir ceci comme une corvée à placer absolument dans mon emploi du temps avant chaque événement de ma vie est devenu une réelle libération.

Dernièrement, en voyant dans la rue une affiche présentant les tarifs d’un institut de beauté et en y lisant « SOIN ÉPILATION », je me suis demandé en quelle année « épilation » avait été associée à « soin ». Depuis quand l’action d’enlever des poils de sa peau était-elle passée dans la même catégorie qu’éliminer une tumeur, chasser un virus ou soigner une plaie ?

Et enfin, cher·e spectateur·ice, j’aimerais préciser que mon but n’est pas de te pointer du doigt, toi en particulier, spectateur·ice anonyme que je ne connais pas. Tes goûts t’appartiennent, concernant les poils comme le reste. Je suis convaincue, même, que ta question ne contenait aucune malveillance. Je ne t’en veux pas, c’est aux diktats de la beauté, que j’en veux. À travers toi, cher·e spectateur·ice, je m’adresse en réalité à la puissance des injonctions qui pèsent sur les femmes et que nous avons si docilement intériorisées et intégrées dans nos quotidiens.

J’espère toutefois que, malgré cette question existentielle qui te taraudait, cher·e spectateur·ice, tu auras pu apprécier le spectacle. En plus des heures passées à travailler mon jeu et ma chorégraphie, des journées passées à tracer, découper et coudre mon costume, c’est toute ma passion que je mets dans les numéros que je crée.

Et pour terminer, je tiens aussi (et surtout !) à remercier toutes les personnes qui viennent me complimenter après les spectacles. Chacun de vos compliments me touche. Chacun de vos mots me renforce, les jours où je doute de ma place sur scène. Parce que oui, j’ai parfois des doutes et des remises en question. Les artistes ne sont pas toujours ces personnes inébranlables et fortes que vous voyez sur scène ou sur les réseaux sociaux. Alors, du fond du cœur, merci à toi, cher public, qui me fais vibrer d’émotions à chaque fois que je monte sur scène.

Photographies :
En couverture : photographe anonyme, vers 1920-1925.
À l’exception de la dernière, toutes les photographies qui illustrent cet article sont tirées du livre Ces sublimes objets du désir, de Régine Deforges, paru en 1998 aux éditions Stock. Ce genre de photographies étant souvent interdites à l’époque, elles se vendaient dans l’ombre et de nombreux photographes préféraient garder l’anonymat.
Pour aller plus loin :
L’intériorisation des normes – Une analyse discursive des pratiques dépilatoires des femmes à Montréal, revue Anthropologie et Société
Salut Lulu J’adore les photos. Elles sont superbes. Ah les poils !! Toute ma vie a été une lutte contre cette pilosité qui envahissait mes jambes, mes aisselles et mon Mont de Venus (c’est une belle formule pour nommer le pubis, je trouve). Hé bien maintenant fini ces soucis car sais-tu qu’avec l’âge (j’ai 72 ans) les poils disparaissent et l’on se retrouve quasiment comme une petite fille ( je te livre là, mon intimité, chut !!!). A part une vilaine moustache brune persistante à qui je livre régulièrement une bataille féroce et douloureuse, mais pour elle je suis intraitable. Car vieillissante je veux montrer à mes amis et aux autres un visage agréable à voir malgré les rides … Merci de m’avoir envoyé ton article. Continue, amicalement. Ci joint ma fleur de cactus , Que de poils, que de poils mais piquants ceux là !!! Je m’aperçois que je t’ai tutoyée, pardon si je t’ai choquée mais je ne recommence pas tout mon mail et ne le referai plus..Bises. Jeanne
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Je continue ma réponse car il m’est venu cette réflexion : La pilosité est vue comme un signe de virilité chez ces messieurs voire de mode quand on regarde les belles barbiches, bacchantes et autres, les poils qui débordent des encolures, sans parler du désagrément des barbes de trois jours bien piquantes, alors que pour nous c’est toujours un signe d’enlaidissement . C’est pas juste , à la fin !!! Donc, bravo de résister à la peau lisse 👏👏. À bientôt Jeanne
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Merci pour ce texte plein de bon sens. Je ne m’épile plus les aisselles depuis 3 ans, et j’aime m’accepter comme je suis. Parfois je rase les jambes, mais rarement…Je fais comme il me plaît et j’aime ma pilosité! Souvent ça surprend mon entourage…
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Merci Anne pour ce témoignage. Nous sommes de plus en plus nombreuses à libérer nos poils, c’est génial ! 😀 Je garde espoir qu’un jour cela ne surprendra plus, et sera purement une question de goût et de choix personnel.
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