J’ai rencontré Moxy Malone en partageant la scène avec elle, lors des spectacles de Secret Follies à Genève. Juriste de profession, danseuse de cabaret de passion, cette femme au multiples facettes est pleine d’anecdotes à raconter. Cela méritait une petite entrevue, la voici pour vous…

LW: Quand as-tu commencé la danse?
Moxy: J’en ai fait toute ma vie, mais jamais de façon très intense. J’ai dû faire six mois de danse moderne à sept ans, après plus rien pendant longtemps. À seize ans j’ai refait du moderne, mais j’ai pas croché. Et puis dans ma vingtaine, j’ai testé la danse du ventre, la salsa, pas trop croché non plus. Quand j’étais enceinte j’ai essayé les claquettes – c’est normal, quand tu es enceinte tu fais des claquettes (rires!), une de mes grandes idées. Il y a deux ans, j’ai découvert la danse cabaret, dans une école en France, et le premier numéro qu’on a fait était sur ma chanson préférée du Crazy Horse, qui est I am a good girl. Là, je me suis rendue compte que tout l’univers que je voulais explorer, qui était celui de ma mère en fait, m’était accessible, mais de façon différente.
LW: L’univers de ta mère? C’est-à-dire?
Moxy: Ma mère était danseuse au Crazy Horse! Et donc j’ai toujours eu cette attirance, quand j’étais petite fille je jouais avec sa boîte de maquillage du Crazy‘, je regardais ses photos, ça a toujours été pour moi un monde que j’ai voulu explorer.
LW: Et depuis ces deux années que tu découvres cet univers, qu’est-ce qui te plaît tant dans la danse cabaret?
Moxy: C’est l’expression. Pouvoir dire des choses qu’on ne peut pas toujours dire. Si ma vie pouvait être une comédie musicale, ce serait parfait! Tu te retrouves dans une situation gênante, et tout d’un coup tu commences à chanter et à danser puis tout va mieux, ce serait tellement plus facile (rires!) Mais la réalité c’est que, surtout en tant que femme, on voit des choses, on entend des choses et on ne dit rien. Et donc la danse cabaret, ça me permet de m’exprimer, de dire ce que j’ai envie de dire et d’utiliser mon corps comme je souhaite le faire.

LW: En parlant d’expression, ton numéro d’avocate m’a beaucoup marquée, par son caractère engagé et, justement, le message très fort que tu fais passer. Qu’est-ce qui t’a donné envie de créer ce numéro?
Moxy: Mon numéro d’avocate, c’est mon tout premier solo. J’ai longuement réfléchi à ce que je voulais comme premier numéro, qu’est-ce que j’avais à dire qui était au plus profond de moi. Et c’était de revendiquer que je suis une femme. Dans la première partie du numéro, on entend des enregistrements, que j’ai faits avec ma propre voix, et les phrases sont des réflexions que j’ai entendues dans ma vie, au travail, à la maison. Des choses qui sont absolument exaspérantes.
LW: Tu aurais des exemples?
Moxy: Un exemple d’il y a deux ans, j’étais avec tout un tas de gens, de niveau de profession, disons, assez élevé. Et il y en a un qui me dit « C’est bon, t’as prouvé que tu pouvais être avocate! Maintenant arrête, reste chez toi et occupe-toi de tes enfants! » Je me dis, mais comment est-ce que, au vingt-et-unième siècle, on peut encore penser qu’on peut dire ça à une femme? Et donc, on me laisse une scène vide, j’en profite pour exprimer ce que je pense. C’est vrai qu’en Suisse, dans le monde du travail, c’est connu que les femmes gagnent moins que les hommes. Même sur les sites gouvernementaux qui te donnent un salaire moyen par profession, ils te disent, si vous êtes un homme c’est tant, si vous êtes une femme c’est 12% de moins*. C’est pas normal. Je ne pense pas que je vais changer le monde, mais au moins j’exprime les revendications que j’ai au plus profond de moi.

LW: Et donc tu as créé ce numéro dans lequel, après avoir entendu les remarques lourdes de sexisme, tu danses et laisses libre court à une féminité éclatante et explosive.
Moxy: Oui, au final, c’est un peu la réalité. Les commentaires, ce sont des commentaires qui ont pesé sur mes épaules. Et puis j’ai découvert la danse, j’ai découvert que je peux être femme. Je peux mettre une jupe courte si je le souhaite. Je peux marcher de façon féminine. Je peux séduire si je le veux. Sans avoir à en payer les conséquences d’un homme qui me dit « Tu l’as cherché. »

LW: Est-ce que tes collègues de travail ont vu ce numéro finalement?
Moxy: Certains savent que je fais de la danse cabaret, mais je n’en parle pas forcément à tout le monde. Parce que Genève c’est très petit, que les gens sont vite à juger. Et même si je n’ai rien contre l’effeuillage, à nos spectacles il y a beaucoup d’effeuillage, mais ce n’est pas ce que je fais moi. Je ne voudrais pas qu’on pense que je fais de l’effeuillage, avec ma profession c’est un peu délicat. Donc j’en ai parlé à certains de mes collègues et j’ai quelques collègues qui sont venus me voir. Ceux qui, d’après moi, ont l’intelligence de comprendre les numéros et le message plutôt que l’élément primaire qui est de voir quelqu’un qui danse sur une chaise.

LW: Tu dis que tu ne vas pas changer le monde, mais peut-être as-tu pu faire changer un peu certains de tes collègues à l’origine des remarques de l’enregistrement?
Moxy: Pour la petite histoire, un des commentaires, c’est mon conjoint qui l’a fait. Ça fait dix ans qu’on est ensemble et grâce à ce numéro, il a compris pourquoi en dix ans je n’ai jamais assemblé ses chaussettes (rires!) Je pense qu’à travers ce numéro, il a commencé à me comprendre un peu mieux. Et à se rendre compte du cumul de certaines choses qui peuvent être pesantes.
LW: Eh bien on peut dire que ton message aura porté ses fruits, et pas des moindres! Et dis-moi, ton travail t’a inspiré un numéro de danse burlesque. Est-ce qu’à l’inverse aussi, la danse et la scène t’influencent dans ton travail?
Moxy: Alors oui! ça m’inspire pour les présentations que je donne. Tout ça, c’est de la communication. Qu’on soit en train de danser ou en train de parler, de montrer un tableau avec des chiffres dessus. Ça a changé la façon dont je vais orchestrer une présentation, avec des visuels, des méthodes pour capter l’attention.
LW: Hop, on enlève un gant!
Moxy: …et un petit coup de claquettes (rires!) Dans ma tête c’est ce qui se passe, mais en réalité mon corps ne bouge pas. Dans ma tête je fais les jazz hands et les petits pas de danse à côté! Ce qui m’a le plus troublée je crois, c’est qu’à la plus grosse présentation que j’ai donnée après avoir commencé le burlesque, j’ai été extrêmement choquée que personne ne m’applaudisse à la fin!
LW: Eh bien moi je t’applaudis maintenant! Merci pour ce témoignage, Moxy. Et je pense qu’on se retrouvera certainement dans les backstages d’un prochain spectacle à la rentrée…!
LW

*12% est l’écart moyen des salaires entre un homme et une femme à positions professionnelles égales en Suisse. Source: Office fédéral de la statistique, écart salarial. Pour le calcul des différences salariales par profession, le site de la Confédération suisse propose le calculateur de salaires Salarium.
One Reply to “Juillet 2018 – Entrevue avec une danseuse avocate de cabaret”