Délicieuses lectures en coulisse

Alors que je farfouillais dans des vieux bouquins de Colette, chez mon libraire préféré HumuS, je suis tombée sur l’un de ses livres dont le titre a immédiatement attiré mon attention, L’envers du Music-Hall¹. Ma curiosité ayant été attisée et ne connaissant que très peu Colette, j’ai non seulement acheté le livre, mais je me suis un peu plus renseignée.

Et quelle n’a pas été ma surprise de découvrir que, l’autrice célèbre qui se cache derrière Claudine à l’École, celle qui a émoustillé toute une génération de jeunes femmes au début du 20ème siècle, celle dont les mots en ont fait rougir plus d’un et plus d’une, celle qui fut la deuxième femme élue membre de l’Académie Goncourt dans les années 1940, eh bien celle-là même a été danseuse de music-hall autour des années 1910. Elle se produisait en particulier en tant que pantomime, cet art d’exprimer les passions et les sentiments grâce à des gestes et de la danse (cela vous rappelle quelque chose, tiens ?), nouvel art en vogue à Paris à cette époque-là.

Colette
Colette, dans sa mise en scène Rêve d’Egypte en 1907.

Elle alla jusqu’à faire scandale au Moulin Rouge, un soir de l’année 1907. Lors de la première représentation de son spectacle intitulé Rêve d’Egypte, elle embrasse fougueusement sa maîtresse et partenaire de scène Missy, la marquise de Morny. Histoire captivante que celle de cette femme de lettres – mais pas seulement, je me suis donc plongée dans cette jolie édition des années 1920 de L’envers du Music-Hall¹.

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Je chéris tout particulièrement les anciennes éditions, entre autres pour leurs superbes illustrations. Ce livre est illustré par Henri Mirande.

L’envers du music-hall, donc, raconté par Colette, m’a énormément touchée. Les tournées harassantes, les coulisses étroites, la précarité des artistes, la faim au ventre, la fatigue, tout n’était pas aussi brillant qu’il n’y laissait paraître sous le feu des projecteurs à l’âge d’or du music-hall. Colette confie…

Nous sommes laids, sans grâce et sans humilité. Pâles de surmenage, ou bien rouges d’un déjeuner hâtif. La pluie de Douai, le soleil de Nîmes, le vent salin de Biarritz ont verdi, roussi ces lamentables « pelures » de tournée, grands manteaux cache-misère qui se targuent d’un genre anglais. Nous avons dormi, tout autour de la France, sur nos chapeaux-bonnets avachis – sauf la grande coquette qui balance, sur un plateau de velours noir poussièreux, trois plumes pompeusement funéraires…

Je me suis laissée emporter par la lecture dans cet univers décrit avec une sincérité saisissante. Colette nous emmène dans la vie des artistes, de l’autre côté du décor.

Et quel mirage me ferait oublier le faux-col de notre jeune premier, blanc gris, avec une ligne de « fond de teint » ocre dans le haut… La pipe du comique, sa grasse pipe juteuse, le mégot du second régisseur, le ruban violet, noirâtre, de l’accessoiriste, la barbe déteinte et coagulée du père noble, quel rideau féerique de fleurs et de plantes mouvantes me les cachera ? […] Et moi-même, hélas !… Je n’ai pas passé si vite devant la vitrine de l’horloger que le miroir ne m’ait montré mes secs cheveux ternes, et ces deux ombres tristes sous les yeux, et la bouche sèche de soif, et la taille veule sous le tailleur marron dont les basques molles se soulèvent et retombent… J’ai l’air d’un hanneton découragé, battu par la pluie d’une nuit de printemps… J’ai l’air d’un oiseau déplumé… J’ai l’air d’une gouvernante dans le malheur… J’ai l’air… mon Dieu, j’ai l’air d’une actrice en tournée, c’est assez dire…

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Et pourtant, les forces mystérieuses de la discipline, du rythme musical, l’orgueil enfantin et noble de paraître beaux, de paraître forts, nous soulèvent, nous conduisent…

Lorsqu’elle décrit les loges, je me fais la réflexion que j’y réfléchirai désormais à deux fois la prochaine fois que j’ose me plaindre d’une loge minuscule…!

Elle tiennent cinq là-dedans, avec leurs tabourets de paille, entre la planche à maquillage et le portemanteau, fermé d’un rideau grisâtre, qui protège les costumes de la revue. Elles vivent là, de sept heures et demie à minuit vingt le soir, et, deux fois par semaine, d’une heure et demie à six heures. […] Elles ne se disent pas bonjour, elles se voient si souvent. […] Elles ne sont pas amies non plus, et pourtant il leur vient, à se sentir complet, bien serrées et étouffées dans l’étroite cabine, une sorte de satisfaction animale, une gaieté de captives.

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« Vite ! Il faut que je publie sur Instamachin que je suis dans les loges ! » Eh bien non… les artistes profitent des loges pour raccommoder leurs vêtements ou costumes usés.

Je vais arrêter d’essayer de décrire son livre à sa place, car les mots de Colette parlent évidemment bien mieux que les miens et sont un régal pour les yeux. Je ne peux que vous recommander cette lecture ! Et je terminerai en vous montrant, tout de même, quelques images du livre que je recherchais à la base, celui de la célèbre ingénue libertine…

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C’est une édition un peu plus « moderne » (les années 1950 !) dont j’aime aussi beaucoup les illustrations.

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Je vous souhaite une délicieuse lecture – pour celles et ceux qui s’y plongeront !

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¹Référence des images et des citations :
L’envers du Music-Hall, 1929 (édition originale : 1913), écrit par Colette et illustré par Henri Mirande
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