L’habillement, quel rôle pour les suffragettes ?

Suffragette since 1903 – Première partie

Si j’aime tant l’histoire de la mode, c’est non seulement parce qu’elle est politique et artistique, mais aussi parce qu’elle est intimement liée à celle des mouvements d’émancipation des femmes et des minorités de genre. L’habit est le moyen d’expression le plus évident et le plus accessible : que l’on décide d’y prêter attention ou non, et quelle que soit la catégorie sociale à laquelle on appartient, c’est habillé·e que l’on s’expose au monde.


Une idée de projet autour des suffragettes m’obsède en ce moment. Cet automne, j’ai commencé à réaliser une tenue de suffragette. L’objectif est de réaliser un ensemble complet de vêtements, sous-vêtements et accessoires ressemblant à ce qu’aurait porté une femme manifestant pour le droit de vote des femmes dans les années 1900 à 1910. Je vais donc partager avec vous les étapes de la création de ce costume au travers d’une série d’articles sur le mouvement suffragiste.

Oh, et puis, mon petit doigt me dit qu’un numéro de scène suivra très probablement…

Couverture du journal The Suffragist, un journal hebdomadaire américain édité par The Congressional Union for Woman Suffrage, 1917.

Quelques repères temporels

On trouve facilement de la documentation sur l’histoire du suffrage féminin, je n’ai pas la prétention de faire mieux. Je vais orienter mes articles sur ce qui touche à l’habillement, les accessoires, et mon projet personnel de reconstitution. Je vous mets toutefois quelques repères historiques et vous invite à cliquer sur les liens si vous souhaitez en savoir plus :

1893 La Nouvelle-Zélande est le premier pays à accorder le droit de vote aux femmes.
1903 Fondation de la WSPU, Women’s Social and Political Union, par Emmeline Pankhurst au Royaume-Uni, dont on surnomme les militantes suffragettes dans la presse.
1944 La France accorde le droit de vote aux femmes.
1971 Les femmes suisses obtiennent le droit de vote au niveau fédéral, mais pas encore dans tous les cantons.
1990 En Suisse, toutes les femmes ont enfin (ENFIN !) le droit de vote fédéral et cantonal (oui oui, vous avez bien lu 1990, ce n’est pas une faute de frappe. La Suisse toujours à la pointe du progrès social.)

L’unité et la pureté comme armes

Pour montrer qu’elles forment un groupe solide et uni autour d’une cause commune, les suffragettes choisissent de se parer entièrement de blanc. Lors de grands rassemblements, le blanc est le meilleur moyen de créer un effet visuel marquant et de mettre en avant l’unité sur les photos diffusées dans la presse – en noir et blanc évidemment.

Aussi, comme le mouvement suffragiste réunit des femmes de tous horizons et de toutes les classes sociales*, une tenue blanche est quelque chose d’universel que chacune peut trouver dans sa garde-robe à l’époque.

Cortège « Prison to Citizenship » de la WSPU pour accompagner les centaines de suffragettes libérées de prison, Londres, 1908. Source : LSE Library
La « marée violette » de la Grève Féministe du 14 juin 2019 à Lausanne. Source : RTS, © Valentin Flauraud / Keystone

Le mouvement suisse de la Grève Féministe, qui a lieu chaque année le 14 juin, joue également avec l’effet d’unité créé par une couleur. Cette fois, la couleur choisie est le violet, tout comme d’autres mouvements féministes récents. (Il faudra que je revienne sur le violet dans un prochain article, d’ailleurs !)

Le blanc est choisi comme symbole de la pureté. Les suffragettes font face à une opposition virulente, qui ne cesse de les décrédibiliser et de les mettre en scène comme de pauvres bêtes stupides, frustrées et hystériques. (Oui je sais. Encore aujourd’hui.)

S’habiller de manière classe est donc un moyen de démentir ces stéréotypes créés par la propagande anti-suffrage. Afficher une image reflétant leur pureté et montrant leur respectabilité a une importance cruciale dans ce mouvement. On est encore loin du My body my rules, les suffragettes doivent se parer de leurs tenues les plus classes pour montrer qu’elles sont aptes à voter, y compris les plus pauvres.

Cortège de la WSPU à Londres, 1908. Source : LSE Library

*Petit aparté sur l’inclusivité et mise en contexte historique

Même si le mouvement suffragiste vise à réunir le plus de femmes possible, il est important de rappeler que, en fonction des pays, cela n’inclut pas systématiquement les femmes racisées (ni d’ailleurs d’autres minorités opprimées) Au début du 20ème siècle, le mouvement féministe en Occident est mené essentiellement par des femmes cis blanches. Bien souvent, les femmes noires sont rejetées du mouvement, par crainte que cela ne « nuise à la cause » en effrayant davantage les hommes, déjà terrorisés à l’idée que les femmes obtiennent des droits (cf les deux images de propagande anti-suffrage ci-dessous). Le racisme est d’ailleurs toujours une problématique au sein des féminismes institutionnels actuels, qui restent majoritairement au service de femmes appartenant aux catégories sociales favorisées (blanches, bourgeoises, cis, hétéro, etc) Pour en savoir plus sur l’intersectionnalité.

« Un autre job que les hommes voudront retrouver quand ils rentreront à la maison », Glasgow Women’s Library, ~1910
« Elle porte la culotte », carte postale allemande, ~1890-1900

Des accessoires pour commencer mon projet

En plus du blanc pour la pureté, le vert et le violet sont choisis pour symboliser l’espoir et la dignité respectivement. Une autre explication pour le choix de ces couleurs est que leur acronyme, GWV pour Green-White-Violet, est l’abréviation de Give Women Votes. On retrouve ces couleurs sur certaines photos d’époque colorisées, et bien évidemment sur des pièces qui ont été conservées jusqu’à nos jours.

Les accessoires les plus répandus portés par les membres de la WSPU sont les rosaces et les écharpes avec le slogan VOTES FOR WOMEN. Je me suis donc fabriqué les miens à l’aide de rubans.

Une rosace d’époque à gauche, ma reproduction à droite.
Des femmes sur un char de la WSPU à Londres, 1908. Source : LSE Library
Ma blouse de suffragette fraîchement cousue, garnie de mes nouveaux accessoires de suffragette.

La suite

Après cet aperçu des couleurs et accessoires que portent les militantes au début du 20ème siècle, je continuerai à écrire quelques articles autour de cette organisation. Il y a de nombreux thèmes passionnants que j’ai envie d’aborder, comme par exemple l’importance de la broderie dans le mouvement suffragiste, ou encore les tenues de prison des suffragettes, qui sont emprisonnées parmi les criminelles et non parmi les prisonnières politiques. Je vous présenterai aussi l’avancement de mon projet de costume au fur et à mesure.


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5 Replies to “L’habillement, quel rôle pour les suffragettes ?”

  1. Bonjour,

    J’apprécie toujours énormément vos articles.

    Grand merci et cordiales salutations.

    Pierre-Henri Leresche

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