Voyage chez les dentellières de Valenciennes

Au début de l’automne, je suis partie pour un petit voyage dans le Nord de la France. Vraiment très au nord, pas loin de la Belgique. Valenciennes, Anzin, Denain : des villes qui n’ont a priori rien d’attirant pour une touriste. Pourtant, j’y ai trouvé de nombreuses surprises sur mon chemin et ai découvert l’histoire passionnante d’une région qui fut autrefois très riche, grâce notamment aux mines de charbon et à la métallurgie. Dans un tout autre domaine, le Nord-Pas-de-Calais abrite aussi une industrie de la dentelle à la renommée historique. La dentelle de Calais, cela vous parle peut-être ? Je ne suis pas allée jusqu’à cette ville, mais pas très loin. À Valenciennes, un petit groupe d’artisanes passionnées fabriquent encore aujourd’hui de la dentelle aux fuseaux. J’ai eu la chance de pouvoir rencontrer l’une d’entre elles, voici un petit récit de mes découvertes autour de la dentelle à Valenciennes.

De la dentelle réalisée par les Dentellières du Pays de Neuchâtel (Suisse), vue l’année passée au Château de Valangin. Photo : Conteur d’Histoires.

Grâce à la propriétaire de la chambre d’hôtes où je logeais, j’ai eu l’immense plaisir de rencontrer Jeanne, l’une des environ 200 personnes, enfants et adultes, qui continuent de faire exister cet héritage de la région de Valenciennes. En plus de voir son travail, j’étais très curieuse de lui demander ce qui fait la particularité de la dentelle de Valenciennes et ce qui la distingue des autres types de dentelles.

Je précise que cet article n’a pas la prétention de présenter les techniques et l’histoire de la dentelle de manière exhaustive (et espère que Jeanne, si elle me lit, me pardonnera mes potentielles imprécisions !) J’ai toutefois envie de partager quelques unes de mes impressions sur ce beau patrimoine. Et peut-être que je parviendrai à éveiller la curiosité de certain·e·s sur cet art fascinant.

Un exemple de dentelle réalisée par Jeanne, estampillée par le sceau officiel de la « véritable dentelle de Valenciennes faite aux fuseaux ».

Tout d’abord, la véritable Valenciennes se fabrique aux fuseaux. Contrairement à sa voisine, la dentelle de Calais, qui est aujourd’hui produite mécaniquement. Les fuseaux sont ces pièces en bois, autour desquelles on enroule du fil, et qui seront ensuite entremêlées, suivant un schéma défini, pour former les motifs de la dentelle. Un peu compliqué à expliquer, mais voyez plutôt un exemple en photo ci-dessous. Je suis toujours impressionnée par la complexité de ce travail, et par la patience et la rigueur dont les dentellières font preuve.

Un exemple de dentelle réalisée avec des fuseaux par les Dentellières du Pays de Neuchâtel, que j’ai pu admirer l’année passée au Château de Valangin. Photo : Conteur d’Histoires.

Pour vous faire une idée, Jeanne m’a dit qu’elle faisait un centimètre et demi de dentelle de Valenciennes en une heure, utilisant une soixantaine de fuseaux. Cette dentelle est composée d’un réseau, qui peut être à maille ronde ou à maille carrée. Et puis, ce qui la caractérise, ce sont les picots (les petites pointes qui longent l’extérieur de la dentelle), l’écaille (la jonction entre deux arrondis de la dentelle) et le petit pois (dans le réseau de mailles).

Le schéma technique de la Valenciennes traditionnelle.

On peut reconnaître cette structure typique sur le schéma technique, ci-dessus, ainsi que sur le résultat en dentelle, ci-dessous. Ces dentelles, confectionnées par Jeanne, font partie des exemples qu’elle m’a montrés.

Les armoiries de la ville de Valenciennes entourées de bandes de dentelle traditionnelle réalisée par Jeanne.

L’exemple suivant est un tout autre type de dentelle : celle de Cluny. Composée de ce qui s’appelle le point d’esprit, elle est très fastidieuse à faire. « Il est dit qu’il faut en faire mille pour arriver à la perfection » m’explique Jeanne, car chaque point d’esprit est un entrelacs méticuleux de fils.

De la dentelle de Cluny, réalisée par Jeanne.

J’ai été émerveillée par la mine d’or que sont les classeurs de Jeanne : ils contiennent une quantité incroyable de dessins techniques de toutes sortes de dentelles. Et pour chaque sorte, on a un carton pré-piqué avec le schéma, qui servira de guide pour fabriquer la dentelle, ainsi qu’un petit échantillon qu’elle a confectionné, afin de tester et de voir ce que donne le résultat.

Un dessin technique de dentelle, accompagné de son petit échantillon.

Jeanne a appris cet art à l’école de dentellières de Valenciennes. Aujourd’hui, l’école n’a plus une visée professionnelle, mais forme des personnes passionnées lors de cours du soir. Cela permet de faire valoir ce riche héritage et de continuer à le faire vivre.

Lorsque j’ai posé des questions sur les dentellières à l’Office du Tourisme de Valenciennes, on m’a parlé d’une rue qu’il valait la peine de traverser, pour ses petites portes en bois colorées près du sol, menant aux caves, là où œuvraient les dentellières autrefois. Et en effet, j’ai pu découvrir que chaque entrée avait, à son côté, des petits volets assortis, donnant accès au sous-sol. J’ai appris ensuite que ces volets s’appellent des burguets.

J’étais toutefois intriguée par les raisons poussant les artisanes à travailler dans leur cave. J’ai donc posé la question à Jeanne.

« À l’époque, pour éviter que le fil de lin ne casse, il fallait de l’humidité, alors les dentellières travaillaient dans les caves. Les petites dentellières commençaient à apprendre la technique vers l’âge de 6 ans et passaient des journées entières enfermées dans ces caves sous la houlette de leur dirigeante. Leur vie était ponctuée par la maladie occasionnée par l’humidité de la cave. Sans lumière, elles travaillaient avec une boule de verre emplie d’eau avec une bougie derrière. La boule faisait office de loupe et les éclairait en même temps. »

J’ai trouvé cette petite rue pleine de charme, vous ne trouvez pas ?

Plus j’explore l’histoire du vêtement, plus je prends conscience de l’ampleur des savoir-faire nécessaires à l’élaboration d’une tenue et le nombre de corps de métier impliqués dans les différentes étapes de sa fabrication. Je me rends compte aussi, en portant des robes vintage de diverses périodes du 20ème siècle, que celles-ci sont beaucoup, beaucoup plus solides et durables que celles produites de nos jours. Alors même qu’elles ont déjà une, voire plusieurs vies derrières elles, le fait est : elles s’usent bien moins vite. Il n’y a pas de miracle : c’est l’attention portée aux détails, le choix de matériaux de qualité, qui feront qu’un vêtement durera longtemps tout en étant confortable à porter.

J’ai de plus en plus de répulsion à acheter des vêtements « industriels » d’aujourd’hui, tant je me rends compte de la médiocrité de leur qualité (n’oublions pas que, entre autres, polyester est un très joli euphémisme du mot plastique). Y compris ceux qui sont vendus à un prix parfois très élevé par les marques de luxe célèbres (indice : ce n’est pas la personne qui a fabriqué le vêtement qui reçoit le 99% du prix du vêtement vendu.) Bien sûr, je ne veux pas blâmer les personnes qui achètent des habits produits industriellement. Tout le monde n’a pas le temps ni l’envie de fabriquer ses propres vêtements. Je pense toutefois qu’il est bien essentiel d’avoir conscience de l’impact négatif catastrophique de l’industrie de la mode, et de faire des choix d’achat en conséquence.

Je participerai à une action de Free Shop à Lausanne (Place du 14-juin), à l’occasion de la (triste) journée du Black Friday. Les gens pourront venir déposer et/ou prendre des vêtements de seconde main, gratuitement, au lieu de participer à la frénésie de surconsommation encouragée par ce Sombre Vendredi. N’hésitez pas à passer, le 26 novembre, si vous êtes dans les environs de Lausanne !

Une création de Jeanne, faite de Valenciennes traditionnelle, entourant l’armoirie de la ville.

Je remercie encore chaleureusement Jeanne d’avoir partagé sa passion et son précieux savoir. Merci aussi à elle de m’avoir envoyé par la suite quelques photos par e-mail, ce qui m’a permis d’illustrer joliment cet article.

Photo en couverture : J’ai pris cette photo dans un livre d’histoire, un peu « à l’arrache » je vous l’avoue, lors de mon passage-visite à la Médiathèque Simone Veil à Valenciennes. Je n’avais encore pas du tout prévu d’écrire cet article, et j’ai complètement oublié d’en relever la référence… Mea culpa, donc.

7 Replies to “Voyage chez les dentellières de Valenciennes”

  1. J’ai eu grand plaisir à lire ton article, qui a réveillé le plaisir que j’ai eu à découvrir la dentelle de Valenciennes avec et grâce à Toi, Lulu!
    Merci de nous aider à mettre à l’honneur tous les savoirs et les talents des Humains.
    J’apprécie beaucoup de découvrir comment et pourquoi, en différents points du globe, les Humains ont pu développer une « technique commune » en l’exprimant avec leur particularité.
    Idée géniale que ce Vendredi de partage!

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  2. Merci beaucoup Sophie, et c’est aussi grâce à toi que j’ai pu découvrir toutes ces belles choses et en apprendre autant sur cette belle région bien trop méconnue des touristes !

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